« L’individu est un groupe intériorisé dont la psyché est soumise à l’épreuve des générations »
(Tisseron 1995).
L'hypothèse de la
transmission psychique entre les générations suscite des réflexions depuis longtemps, et de nombreux cliniciens et théoriciens se sont penchés sur cette question.
Les psychanalystes Nicolas
Abraham et Maria
Török
ont publié en 1978 un ouvrage intitulé « L’Ecorce et le Noyau » qui met en exergue les concepts de "crypte" et de "fantôme". Leurs recherches leur ont permis d'étudier les cas de personnes ayant fait certains actes ou prononcé certaines paroles « comme si quelque chose ou quelqu'un avait agi à travers elles à ce moment ». Ils émirent l'hypothèse qu'un
"fantôme transgénérationnel"
s'exprimait à travers eux, fantôme d'un ancêtre ayant créé lors de son existence une
"crypte" : un secret, un non-dit, un acte inavouable, un traumatisme, qui n'aurait pas été « métabolisé » dans le psychisme de celui qui l'a vécu et serait resté du domaine du refoulé. Les membres des générations successives verraient à certains moments un
"fantôme psychique" se manifester par des actes ou des paroles manquées, la répétition des symptômes, de comportements aberrants ou des schémas relationnels chaotiques, voire des troubles psychiques graves. Nicolas Abraham et Maria Török parlent de
transmission psychique transgénérationnelle.
Les avancées de Nicolas Abraham & Maria Török sont poursuivies notamment en France par des psychanalystes de renom : J. Dupont, P. Hachet, C. Nachin, S. Tisseron, A. Ciccone, J.-C. Rouchy et D. Dumas puis à sa suite B. Clavier. Claude Nachin a par ex. confirmé que les deuils non faits sont des traumatismes qui peuvent retentir sur les générations futures. Serge Tisseron, lui, a étudié la question de la transmission des images mentales entre les générations et a beaucoup travaillé sur la honte. Selon Didier Dumas, élève de F. Dolto, le mutisme de l'adulte, l'autisme de l'enfant ou la phobie sont l'œuvre du Fantôme. Il développera une clinique de l'Autre, une clinique des parents et des ancêtres en soi. Se basant sur les apports des traditions anciennes et chamaniques, sur la clinique des enfants et les théories psychanalytiques de ses prédécesseurs, il cherchera à répondre aux manques freudiens par l'apport du transgénérationnel. Rappelons que questionné sur les curieux symptômes dont souffre celui qui est "hanté", Freud répondit qu'il "espérait ne pas avoir à s'occuper de cela de son vivant".
L'analyse transgénérationnelle appelle donc « fantôme », une structure psychique et émotionnelle parasite, issue d’un ou plusieurs ancêtres, portée et agie par un descendant.
Un
traumatisme psychique, entouré de honte, de culpabilité et de non-dits, s’est retrouvé enterré dans le secret, comme dans une
« crypte ». Et le secret se transmet de l'inconscient des parents à l'inconscient des enfants. La plupart du temps le souvenir conscient du trauma ancestral a été enfoui et s’est perdu car la personne qui a subi le traumatisme n’a pas pu témoigner de la violence émotionnelle de ce qu’elle a vécu.
Cette
transmission se fait par un phénomène complexe que divers chercheurs pluridisciplinaires tentent d'élucider et qu’on peut résumer en termes de
co-conscient ou co-inconscient familial et groupal.
Le "fantôme" c’est une absence de représentation, un trou dans les mots, une défaillance des paroles de nos parents sur la sexualité et la mort, telle qu’eux-mêmes – ou leurs ancêtres – ont eu à les assumer.
Cette défaillance de mots est l’expression d’un traumatisme psychique qui s’est produit en amont de notre filiation, dans notre ascendance.
Le traumatisme est une atteinte à l’intégrité de l’être. C’est cette atteinte qui se transmet d’inconscient à inconscient. L’enfant en devient l’ultime dépositaire et, pour combler cette absence de mots dont il hérite, il se crée des images qui, plus tard, à l’âge adulte, pourront resurgir dans ses rêves et ses fantasmes sexuels. Le non-dit fonctionne comme un « pensionnaire » qui, une fois incorporé, pourra tout aussi bien faire irruption dans des troubles psychiques ou des somatisations.